De et avec Flor Lurienne et Léonore Chaix au Studio des Champs Élysées et Théâtre de L’Européen.
Mise en scène Marina Tomé.
Lumières Philippe Sazerat. Son Bertrand Pelloquin.
ITW de Marina Tomé par Alain Bugnard
Paru le 20/08/2011
Auteur, comédienne, metteur en scène de pièces de théâtre et de concerts, Marina Tomé – que nous avions découverte avec sa création « Aria di Roma », et que nous retrouverons cet hiver sur la scène des Amandiers dans « Zoltan » d’Aziz Chouaki – vient de signer la mise en scène de « Déshabillez Mots », spectacle composé à partir des chroniques que Léonore Chaix et Flor Lurienne avaient enregistrées de 2008 à 2010 pour France Inter, et dans lesquelles les deux facétieuses comédiennes avaient fait le pari d’interviewer… des mots !
En quoi le projet de Léonore Chaix et Flor Lurienne vous a-t-il séduite ?
Je ne connaissais pas leur travail quand je les ai rencontrées. Elles cherchaient alors un metteur en scène pour l’adaptation théâtrale de leurs émissions de radio. J’ai d’emblée trouvé le concept d’un journaliste interviewant un mot formidable ! J’ai ainsi écouté nombre de leurs chroniques, et l’humour et la poésie qui s’en dégageaient m’ont totalement charmée ! J’aime travailler avec des auteurs interprètes, être au service de leur écriture pour magnifier leur univers et le rendre immédiatement accessible au spectateur grâce au langage visuel de la mise en scène. Je leur ai donc proposé de placer leur duo de chroniqueuses dans un studio de radio, pour présenter visuellement l’abîme poétique que provoque la magie de l’arrivée d’un mot. Car pour accepter cette chose improbable et absurde – « un mot me parle » -, notre cerveau a besoin de rester amarré à une réalité concrète.
Comment les chroniques ont-elles été réunies pour former un spectacle cohérent ?
Je leur ai ensuite proposé de définir une thématique précise pour sélectionner les chroniques qui seraient reprises dans le spectacle. Nous avions toutes trois une préférence pour les mots qui s’adressaient à l’humain et mettaient en lumière nos fragilités, nos faiblesses, nos complexités… nos maux ! Raison pour laquelle nous avons laissé de côté les mots traitant de politique ou de choses plus concrètes afin de saisir une cohérence globale.
Quelles ont été vos propositions pour incarner un mot ?
J’ai travaillé sur l’apparition et la disparition du mot, cherchant l’image qui permettrait en une seconde de le raconter. Pas selon sa définition du dictionnaire – il ne s’agit pas d’un cours de sémantique ! -, mais selon le point de vue décalé que Léonore et Flor posent sur lui et les ressorts comiques que cette approche loufoque suggère. Le mot vient parfois défendre sa peau, comme la « pusillanimité », de moins en moins usitée dans le langage courant et qui s’inquiète de sombrer dans l’oubli ! On découvre tout à coup la face cachée possible d’un mot qui s’adresse à notre humanité. J’ai choisi d’utiliser entre les chroniques des musiques de tango électronique en provenance d’Argentine, pour laisser aux actrices le temps de basculer du rôle d’intervieweur à celui d’interviewé, et surtout permettre des envolées à la fois mystérieuses et sexy, les mots se mettant à nu…
METTRE EN SCÈNE DÉSHABILLEZ-MOTS
Mettre en scène Déshabillez Mots est un beau pari. Passer de la radio à la scène, faire de cette chronique délicieuse, glamour et fantaisiste, une œuvre scénique. Chercher à magnifier, par la présence physique de ces deux actrices et des images évocatrices, leur poésie fantasque. Interviewer un Mot. Lui donner la parole, l’inviter à s’exprimer, au micro. Une idée farouchement poétique qui me fait aussitôt sourire tant elle est improbable. Magnifique idée d’auteur.
Mais comment donner à voir cet abîme poétique qui convoque avec finesse l’absurde, l’insolence, l’intelligence et le rire ?
À l’écoute de leur chronique sur France Inter, l’image qui me vient c’est une journaliste au micro dans un studio d’enregistrement radio. Et plus les Mots défilent, plus je m’accroche à cette image. Mon cerveau est ainsi fait. Il veut bien accepter cette chose totalement improbable : «un Mot me parle» mais solidement amarré à une bouée de sauvetage, à une réalité concrète.
Alors d’une part, recréer ce studio radio, travailler sur la réalité d’un enregistrement, le concret du labeur des deux chroniqueuses, les micros, les ampoules rouges qui s’allument, les gimmicks et les bruitages… Explorer le domaine du profane et de l’incarnation. D’autre part, ouvrir la porte à la poésie de l’apparition d’un Mot. Quêter la magie de cette apparition, laisser venir les images, profiter des ressorts comiques de ces situations loufoques. Avec les actrices, ne pas chercher à représenter la définition rationnelle du Mot mais s’inscrire dans leur vision décalée. Travailler sur l’évocation et le sacré.
Et enfin, creuser visuellement cet abîme en restituant scénographiquement ce studio radio dans un gigantesque transistor.
Permettre à l’homme, cet être profane, de se reconnecter avec sa part sacrée est une des missions du théâtre depuis les grands Grecs et la catharsis. Et c’est effectivement à un banquet divin que, telles les muses des poètes, Flor et Léonore, ces deux comédiennes d’une grande acuité, nous invitent. Il y a de la cérémonie dans l’air, la pratique d’un rituel nouveau où le Mot est enfin sommé de s’expliquer. L’un après l’autre, ils vont défiler sur l’autel du Mont Radio, entre confession intime et sacrifice sacré. Car ces deux-là ont à l’évidence eu accès au grand mystère. Elles ont cette faculté de saisir l’essence des choses, elles ont franchi la porte secrète qui nous sépare de la mission profonde et divine du langage. Elles officient, avec leurs voix mélodieuses, au sacrifice sacré des Mots pour mieux nous les restituer, nous donnant ainsi accès à notre part de poésie humaine. Le rire qu’elles déclenchent est bigrement salvateur. Il nous fait entendre, au-delà de leurs espiègleries, combien les Mots nous habitent et donc nous appartiennent. Combien chacun chacune, nous sommes langage, poésie, fantaisie. Le Mot n’est plus cet étranger. Le langage n’est plus ce livre de grammaire plein d’exceptions et de cas particuliers, il redevient le lieu du lien aux autres. Et plus encore, il nous constitue en profondeur, il est au cœur de nos vies, de nos failles et de nos espoirs. Le Mot est au cœur de nos maux.