Bégayer l’obscur – collaboration écriture et mise en scène

Note écriture et mise en scène

 … Les années passent et toujours, toujours la même joie, la même curiosité, le même plaisir de progresser avec David Sire, d’explorer sa matière, de faire émerger la particularité si singulière de son univers foisonnant, fantaisiste et jubilatoire. David Sire, un grand artiste. Alors quel plaisir ces derniers mois de l’accompagner dans ce nouveau virage, peut-être le plus grand, le plus fou, le plus surprenant aussi, cette folle envie de lâcher l’écriture chanson, lâcher les rimes, « craquer le truc » et oser. Oser le récit, oser l’histoire, oser. Bégayer l’obscur.

Pendant deux ans, nous avons pris le temps d’explorer ses terres pour cerner et saisir son sujet. Dans l’écriture, il y a l’histoire que l’on raconte, comment on la raconte et ce qu’on raconte, en racontant ce qu’on raconte. Et c’est en élucidant toutes ces pistes que le récit peu à peu apparaît. Ensuite l’élaboration précise d’une dramaturgie vient renforcer et conscientiser le sens de l’histoire. Car il y a toujours cette part d’inconscient qui vient tambouriner auprès de l’œuvre à écrire. C’est vrai pour tout le monde et ça l’est de manière très aigue pour David. Je crois que David sait des choses qu’il ignore qu’il sait. Notre travail artisanal a tenté de les repérer, de les faire monter à la conscience et laisser émerger le sens, les sens, l’essence de ce récit. Ici David se questionne et nous questionne sur nos chemins, nos audaces, notre présence au monde et à l’autre dans une vraie quête d’authenticité, avec cet espoir fou de réorganiser le bric-à-brac chaotique de nos vies.

Au départ il y avait cette envie d’autre chose, cette envie de récit mais aussi le désir d’être deux. De porter le récit à deux, sortir des rôles de chanteur et de musicien. Paroles et musique imbriquées. Alors dans l’écriture comme sur le plateau nous avons traquer cette complicité entre David et Fred alias Cerf, dessiner un véritable duo où Fred est tout à tour le Jiminy Cricket, la conscience, le super pote, le coach ou le mauvais génie de David. Par moments ils sont deux en un, parfois ils sont un seul en tous les deux. Parfois la conscience et l’inconscient, l’ombre et la lumière, bon diable et mauvais diable… Et c’est ce qui fait avancer le récit. Ils portent le récit ensemble. Parfois la musique, parfois la parole. Parfois l’émotion est telle que la parole ne peut plus dire, alors la musique prend complètement le relais et parfois c’est l’inverse. Parfois décider d’arrêter la musique pour dans le silence juste quelques secondes, ouvrir une fenêtre intime avec le public. Et saisir à quel moment, c’est la musique qui va créer cette fenêtre intime et David va carrément quitter le plateau… Toujours sur une crête. Pour l’interprétation aussi, saisir la place du conteur, des conteurs. Ce n’est pas du théâtre, ce n’est pas un concert. C’est un récit musical. Toujours sur le fil, entre évocation et incarnation. Et puis en tant que metteuse en scène, prendre au vol leurs inventions. Être juste un guide. Avec la responsabilité de la cohérence globale, de là où on veut aller, de ce que l’on veut que ça dise. Et les mener vers le but qu’on s’est fixé. Ce n’est pas une mise en scène au sens où on l’entend habituellement au théâtre. L’autre jour David me demandait : c’est quoi ta méthode ? Je lui ai répondu : ma méthode, c’est vous.

Leurs présences électriques, leurs folies, leur démesure et leurs quêtes de liberté vont nous transporter vers nos territoires cachés, nos blessures profondes et nous guider inlassablement avec une détermination implacable, vers de grandes et belles retrouvailles avec notre élan vital. La catharsis s’opère en direct avec ces deux artistes partageurs qui cherchent le chemin pour grandir, pour devenir des hommes libres, en équilibre… « L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art » disait Robert Filiou. Entre confession intime et épopée épicurienne, ce récit musical est une histoire de résilience, appelée, affirmée et si généreusement offerte.