de et avec Marina Tomé.
Mise en scène Hervé Dubourjal.
Texte édité chez Dramaturgie.
Enregistrement France Culture, Jacques Taroni.
Affiche Michel BOUVET.
Autour de ma rencontre border line avec Anna Magnani.
Anna Magnani est une actrice italienne emblématique du cinéma néoréaliste italien et c’est ce qui lui a valu une réputation mondiale. Elle a tourné une cinquantaine de films, dont Rome, ville ouverte de Roberto Rossellini en 1945, Le Carrosse d’or de Jean Renoir en 1953, et a reçu l’Oscar de la meilleure actrice pour son personnage Serafina Delle Rose dans La Rose tatouée réalisé par Daniel Mann en 1955 et adapté de la pièce éponyme de Tennessee Williams.
Ma rencontre avec Anna Magnani est tout à fait particulière. À l’âge de 19 ans j’ai passé une audition pour un metteur en scène qui m’a dit : «Vous êtes une Anna Magnani en puissance.» Je ne la connaissais pas. Alors j’ai demandé ingénument : «Qui c’est ? Je peux la voir ?…» Mais elle était déjà décédée. Il m’a parlé de ses rôles et des films qu’elle avait tournés, ça m’a intriguée.
Un jour où j’étais à la campagne, Le Carrosse d’or de Jean Renoir était programmé à la télévision. N’ayant jamais vu Anna Magnani et n’ayant pas la télévision, j’ai demandé à la fermière du village avec qui j’étais assez copine de regarder Le Carrosse d’or chez elle. Et là, j’ai vécu une identification totale. J’avais l’impression qu’à l’écran c’était moi. C’était un peu borderline, ce qui m’arrivait, et j’en étais étonnée moi-même. Mais je pouvais anticiper les moindres mouvements d’Anna Magnani avant qu’elle les exécute. Quand elle riait je savais qu’elle allait rire, quand elle tournait la tête je connaissais déjà son regard, son expression, sa respiration, comme de l’intérieur. J’avais l’impression que c’était moi, comme si j’avais tourné ce film il y a très longtemps. J’avais 19 ans. J’étais toute jeunette. Une apprentie comédienne, un peu perdue, en pleine aporie… Je me souviens être sortie de chez ma copine fermière et avoir marché jusque chez moi dans le noir complet de ce petit village sans réverbère, seule, à pas lents, avec cette voix qui résonnait dans mes oreilles. J’avais la sensation qu’Anna Magnani continuait à me parler. Je l’entendais… Après cela j’ai cherché à voir tous les films dans lesquels elle avait joué et à chaque fois il y avait cette émotion si étrange qui me ressaisissait.
Anna Magnani incarnait une image de femme forte, à l’opposé des clichés féminins du cinéma italien de son époque, où l’on réalisait moult films à l’eau de rose avec des téléphones blancs, des peignoirs en satin et des starlettes pimpantes, destinés à un public appauvri par l’Italie fasciste de Mussolini. Elle n’était pas belle selon les canons de beauté traditionnels. Elle incarnait la force, le courage, l’humanité, quelque chose d’indomptable aussi. J’ai vécu avec elle une surprenante histoire de connexion, elle m’a beaucoup inspirée. Elle m’a guidée.
Profitant d’un stage sur « L’utilisation du subjonctif dans la langue italienne », mais oui… J’ai effectué des recherches sur elle, j’ai quadrillé tout Rome. À l’époque il n’y avait pas Internet, j’ai passé des heures à la Bibliothèque nationale, aux archives de Cinecittà. J’ai ainsi rencontré des personnes avec lesquelles elle avait travaillé, son coiffeur, sa secrétaire, ses partenaires, etc. Lorsque j’ai eu la chance de m’entretenir avec Federico Fellini je lui ai montré des photos de moi en répétition de spectacle et il m’a confondue avec Anna Magnani ! Il disait : «Ah oui, je crois bien que c’est dans tel film…» et moi, j’exultais. C’était alors mon jeu favori, que tous me confondent avec elle…
Elle m’a tant inspirée que dix ans plus tard environ, à l’âge de 33 ans, j’ai écrit l’histoire de ma « borderline storia d’amore » avec elle. J’ai écrit un spectacle sur ma relation à elle, et, de façon plus générale, sur l’identification de soi à une autre, sur la quête d’identité d’une jeune comédienne qui grandit à travers l’image d’une autre actrice très célèbre. J’ai souvenir d’avoir écrit cette pièce comme sous la dictée. Anna Magnani me parlait et ma main écrivait. Comme si elle voulait dire, à travers moi, des choses qu’elle n’avait pas eu le temps de dire. Lorsque son fils a lu la pièce il m’a murmuré : «Il y a des choses… D’où les savez-vous ? Ça n’a été écrit nulle part.» Dans mon spectacle, j’ai intégré un passage d’un synopsis de scénario qu’elle avait elle-même rédigé et qui relatait lui aussi l’histoire d’une jeune femme vivante s’entretenant avec le portrait d’une personne disparue. Ce synopsis avait pour titre Aria di Roma et le fils d’Anna Magnani m’a autorisée à appeler mon propre spectacle ainsi : Aria di Roma. Quel cadeau !
Je me souviens que mon attaché de presse m’avait incitée à aller faire des photos chez elle, si possible avec son Oscar, pour l’accroche du spectacle. J’avais juste une semaine avant le début des répétitions pour réussir ce pari. Ni une ni deux direction Rome, trouver un photographe, obtenir l’autorisation… Pari gagné, le fils d’Anna Magnani me laissa pour quatre heures les clés de l’appartement qui contenait toutes les affaires de l’actrice : des vêtements, des photographies, des tableaux, etc. Et le fameux Oscar ! Il ne l’avait jamais permis à quiconque auparavant. Comment j’ai fait pour le convaincre, je ne sais plus, j’étais portée… Ce fameux jour, en sortant de la station de métro Piazza di Spagna pour me rendre à son appartement, je marchais sur un nuage et j’ai été interpellée par un clochard assis là, par terre. Il s’est levé, m’a tendu une rose en s’exclamant : «Ehi, Nanare !» Nanare est le surnom donné par les Romains à Anna Magnani. J’étais sidérée. J’ai fait toutes les photos avec cette rose. Je ne l’ai pas lâchée.
Le spectacle a été joué plus de 200 fois en France, Suisse, Belgique…
Coproduction Groupe des 20, Hippodrome de Douai, Cargo de Grenoble.
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